Popper émerge dans une Europe bouleversée, né en 1902 à Vienne à la fin de l'Empire austro-hongrois. Son parcours est marqué par la montée des totalitarismes et les deux guerres mondiales. L'antisémitisme et le nazisme le contraignent à l'exil en Nouvelle-Zélande en 1937, avant son installation au Royaume-Uni après-guerre.
Sa pensée se développe dans un contexte philosophique dominé par le positivisme logique du Cercle de Vienne (dont il est proche tout en le critiquant), le marxisme (qu'il étudie avant de s'en distancer), et une philosophie des sciences en pleine mutation.
Face à ces courants, il développe une approche critique originale du rationalisme et de la méthode scientifique. Son œuvre se déploie en plusieurs phases : dans les années 1930, il élabore sa théorie de la falsifiabilité comme critère de démarcation entre science et non-science ("La Logique de la découverte scientifique", 1934).
Pendant la guerre, il rédige "La Société ouverte et ses ennemis" (1945), critique du totalitarisme et défense de la démocratie libérale. L'après-guerre le voit approfondir sa philosophie des sciences et développer sa théorie des trois mondes.
Sa pensée, qui allie critique de la connaissance scientifique et défense de la société ouverte, se caractérise par un rejet du dogmatisme, une valorisation de la critique rationnelle et une conception évolutionniste de la connaissance, influençant profondément la pensée politique et scientifique du 20e siècle.
"Toute “bonne” théorie scientifique consiste à (...) interdire à certains faits de se produire."
— scienceSelon Karl Popper, une bonne théorie scientifique consiste à interdire certaines éventualités, c”est-à-dire à prévoir que certaines choses ne peuvent pas arriver. Cela permet de faire des prédictions et de vérifier si la théorie est vérifiée ou infirmée par les faits expérimentaux.
Les théories doivent être falsifiables
La réfutation fait progresser
Donc la raison est critique
Une théorie est scientifique si elle est falsifiable
Les réfutations font progresser la connaissance
Donc la science est falsificationniste
La vérité guide la recherche
Elle reste inatteignable
Donc la vérité est idéale
« Apprendre grâce à nos erreurs et à nos facultés critiques est d'une importance fondamentale dans le domaine des faits comme dans celui des normes. Mais suffit-il de faire appel à la critique ? Ne faut-il pas aussi recourir à l'autorité de l'expérience et de l'intuition ? Dans le domaine des faits, nous ne nous bornons pas à critiquer nos théories, nous les soumettons à l'expérience et à l'observation. Croire que nous pouvons avoir recours à l'expérience en tant qu'autorité serait pourtant une grave erreur, quand bien même certains philosophes, ont décrit la perception par les sens, et surtout par la vue, comme une source de connaissance, de “données” à l'aide desquelles nous édifions notre expérience. Cette description me paraît totalement erronée. Notre expérience et nos observations ne consistent pas en “données”, mais en un réseau de conjectures et d'hypothèses qui s'entremêlent à un ensemble de croyances traditionnelles, scientifiques ou non. L'expérience et l'observation, à l'état pur, c'est-à-dire abstraction faite de toute attente ou théorie, n'existent pas. Autrement dit, il n'y a pas de données pures pouvant être considérées comme sources de connaissance et utilisées comme moyens de critique. »
Popper, La Société ouverte et ses ennemis
Apprendre grâce à nos erreurs et à nos facultés critiques est fondamentale dans les faits et les normes, mais l'expérience et l'intuition sont également des autorités essentielles.
« On peut dire que le principe d'une action démocratique est l'intention de créer, de développer et de protéger des institutions destinées à éviter la tyrannie. Il n'implique pas qu'on puisse les rendre parfaites ou capables de garantir que la politique adoptée par le gouvernement sera bonne, juste, sage, ou même meilleure que celle que pourrait adopter un tyran bienveillant […]. Ce qui est impliqué, en revanche, est la conviction que, dans une démocratie, l'acceptation d'une politique même mauvaise, tant qu'on peut s'employer à la modifier pacifiquement, est préférable à la soumission à une tyrannie, si sage ou si bienveillante soit-elle. Présentée ainsi, la théorie démocratique n'est pas fondée sur l'idée que le pouvoir doit appartenir à la majorité. Elle consiste simplement, face à la méfiance générale qu'inspire traditionnellement la tyrannie, à considérer les diverses méthodes égalitaires de contrôle démocratique - élections générales et gouvernement représentatif, par exemple - comme des garanties éprouvées et raisonnablement efficaces, mais néanmoins susceptibles d'être améliorées et même de fournir certains moyens de cette amélioration. »
Popper, La Société ouverte et ses ennemis
On peut dire que le principe d'une action démocratique est l'intention de créer, de développer et de protéger des institutions destinées à éviter la tyrannie.
« La méthode des sciences est caractérisée par une exigence de débat public, qui se présente sous deux aspects. Le premier est que toute théorie, si inattaquable qu'elle apparaisse à son auteur, peut et doit inviter à la critique ; l'autre est que, pour éviter les équivoques et les malentendus, elle doit être soumise à l'expérience dans des conditions reconnues par tous. C'est seulement si l'expérimentation peut être répétée et vérifiée par d'autres, qu'elle devient l'arbitre impartial des controverses scientifiques. Ce critère de l'objectivité scientifique, d'ailleurs, tous les organismes ou services chargés de contrôler ou de diffuser la pensée scientifique - laboratoires, congrès, publications spécialisées, etc. - le reconnaissent et l'appliquent. Seul le pouvoir politique, quand il se dresse contre la liberté de critiquer, mettra en péril une forme de contrôle dont dépend, en définitive, tout progrès scientifique et technique. On peut montrer par des exemples pourquoi ce sont les méthodes, plutôt que les résultats, qui déterminent ce qui est scientifique. Si un auteur intuitif a écrit un livre contenant des résultats dits scientifiques que, vu l'état des connaissances à son époque, rien ne permettait de comprendre ou de vérifier, dira-t-on pour autant qu'il a écrit un livre de science, même si, par la suite, l'expérience prouve que sa théorie était exacte ? La réponse, selon moi, doit être négative. »
Popper, La Société ouverte et ses ennemis
La méthode des sciences est caractérisée par une exigence de débat public qui invite à la critique.
« Il convient de travailler à l'élimination de maux concrets et non pour mettre en œuvre un bien abstrait. Il ne faut pas chercher à instaurer le bonheur par des moyens politiques, mais au contraire à supprimer des maux réels. Ou encore, plus concrètement : il s'agit de combattre la pauvreté par des moyens directs, en s'assurant, par exemple, que tous disposent d'un minimum de revenus, de lutter contre les épidémies et la maladie en créant des hôpitaux et des facultés de médecine, de combattre l'analphabétisme comme on lutte contre la criminalité. L'essentiel est d'employer des moyens directs. Il suffit de déterminer quel est le mal qui affecte le plus gravement la société et de s'efforcer patiemment de montrer à autrui la possibilité de l'éliminer. Mais il ne faut pas chercher à réaliser ces objectifs par des voies indirectes en définissant l'idéal lointain d'une société entièrement bonne et en s'attachant à mettre celui-ci en œuvre. Quelle que soit la force du sentiment d'obligation que cette vision […] nous inspire, il n'y a pas lieu de se sentir requis de lui donner corps ou de s'imaginer investi de la mission d'en faire découvrir à autrui toute la beauté. Il ne faut pas que cette vision imaginaire d'un monde merveilleux nous fasse négliger les revendications d'individus qui souffrent hic et nunc. Nos semblables sont fondés à attendre de nous un secours. Aucune génération ne doit être sacrifiée au nom des générations à venir et d'un idéal de bonheur qu'on risque de ne jamais atteindre. Je considère, en résumé, que l'allègement des maux dont souffrent les hommes est le problème qui se pose avec le plus d'acuité à une politique sociale rationnelle et que la question du bonheur est d'un autre ordre. Laissons au domaine privé cette recherche du bonheur. »
Popper, Conjectures et réfutations
Il faut éliminer les maux concrets pour instaurer le bonheur.
« Les prophéties touchant les éclipses, comme d'ailleurs toutes celles qui se fondent sur la régularité des saisons (celles-ci représentent peut-être les plus anciennes lois de la nature que l'homme ait clairement comprises comme telles) ne sont possibles que parce que le système solaire est un système stable où les mêmes phénomènes se reproduisent. Et cette situation tient, à son tour, à des facteurs contingents : celui-ci se trouve protégé des influences que pourraient exercer d'autres systèmes mécaniques par d'immenses zones d'espace vide, et il est, par conséquent, assez peu affecté par l'intervention d'éléments extérieurs à lui-même. On ne saurait donc s'appuyer sur ces exemples pour montrer qu'il est possible d'appliquer à l'histoire la méthode qui consiste à formuler des prédictions à long terme. La société se transforme, elle évolue. Et son évolution exclut, pour l'essentiel, la répétition. Certes, dans la mesure où l'histoire comporte des répétitions, on pourra éventuellement faire certaines prophéties. Il existe, par exemple, une certaine part de répétition dans la manière dont apparaissent de nouvelles révolutions, de nouveaux despotismes. Et l'historien peut se trouver en position de prévoir, dans une certaine mesure, ce type de développements en les confrontant aux cas précédents, c'est-à-dire en étudiant les conditions qui président à leur apparition. Mais cette application des prédictions conditionnelles est assez limitée. Car les aspects les plus décisifs de l'évolution historique ne comportent pas de répétition. Les conditions varient, et on se trouve en présence de configurations (à la suite de découvertes scientifiques, par exemple) qui ne ressemblent à rien de ce qu'on a pu voir auparavant. Le fait que nous sachions prévoir les éclipses ne nous autorise donc pas à espérer pouvoir prédire les révolutions. »
Popper, Conjectures et réfutations
La société se transforme, elle évolue ; son évolution exclut, pour l'essentiel, la répétition.
« L'évolution de la vie sur la terre ou de la société humaine, est un processus historique unique. Un tel processus, nous pouvons le présumer, s'effectue en accord avec tous les genres de lois causales, par exemple les lois de la mécanique, de la chimie, de l'hérédité et de la ségrégation, de la sélection naturelle, etc. On ne peut cependant pas le décrire comme une loi, mais seulement comme un énoncé historique singulier. Les lois universelles formulent des assertions relatives à un certain ordre invariant […], c'est-à-dire relatives à tous les processus d'un certain genre ; et bien qu'il n'y ait pas de raison pour que l'observation d'un seul cas unique ne doive pas nous inciter à formuler une loi universelle, ni même pour que, avec de la chance, nous ne rencontrions pas la vérité, il est clair que toute loi, qu'elle soit formulée de cette manière ou d'une autre, doit être testée sur d'autres cas avant de pouvoir être prise sérieusement en considération par la science. Mais nous ne pouvons espérer tester une hypothèse universelle ni découvrir une loi naturelle acceptable pour la science si nous sommes à jamais réduits à l'observation d'un seul et unique processus. L'observation d'un seul et unique processus ne peut non plus nous permettre de prévoir l'évolution future. La plus minutieuse observation du développement d'une unique chenille ne nous aidera pas à prévoir sa métamorphose en papillon. »
Popper, Misère de l'historicisme
L'évolution de la vie sur terre est un processus unique et historique.
« Substituer au gouvernement par la raison le gouvernement par l'amour, c'est ouvrir la voie au gouvernement par la haine, comme Socrate semble l'avoir entrevu quand il dit que la méfiance envers la raison ressemble à la méfiance envers l'homme. L'amour n'est ni une garantie d'impartialité, ni un moyen d'éviter les conflits, car on peut différer sur la meilleure manière d'aimer, et plus l'amour est fort, plus fort sera le conflit. Cela ne veut pas dire que l ‘amour et la haine doivent être placés sur le même plan, mais seulement que nul sentiment, fût-ce l'amour, ne peut remplacer le recours à des institutions fondées sur la raison. Le règne de l'amour présente d'autres dangers. Aimer son prochain, c'est vouloir le rendre heureux […]. Mais vouloir le bonheur du peuple est, peut-être, le plus redoutable des idéaux politiques, car il aboutit fatalement à vouloir imposer aux autres une échelle de valeurs supérieures jugées nécessaires à ce bonheur. On verse ainsi dans l'utopie et le romantisme ; et, à vouloir créer le paradis terrestre, on se condamne inévitablement à l'enfer. De là l'intolérance, les guerres de religion, l'inquisition, avec, à la base, une conception foncièrement erronée de nos devoirs. Que nous ayons le devoir d'aider ceux qui en ont besoin, nul ne le conteste ; mais vouloir le bonheur des autres, c'est trop souvent forcer leur intimité et attenter à leur indépendance. »
Popper, La Société ouverte et ses ennemis
L'amour ne remplace pas la raison pour gouverner l'humanité, et vouloir le bonheur du peuple conduit à imposer ses valeurs aux autres.
« La tradition rationaliste occidentale, qui nous vient des Grecs, est celle de la discussion critique : elle consiste à examiner et à tester les propositions ou les théories en essayant d'en produire la réfutation. Il ne faut pas voir dans ce processus une méthode de démonstration qui permettrait, en dernière analyse, d'établir la vérité ; et il ne s'agit pas non plus d'une démarche aboutissant nécessairement à la formation d'un consensus. Son intérêt vient plutôt de ce que la discussion permet aux divers interlocuteurs de modifier, peu ou prou, leur sentiment et, au terme de cet échange, d'être devenus plus avisés. On prétend souvent que la discussion n'est possible qu'avec des partenaires qui tiennent un même langage et souscrivent aux mêmes hypothèses fondamentales. Or ce n'est pas vrai. Il suffit seulement d'être disposé à apprendre auprès de l'interlocuteur avec lequel on discute, ce qui implique le désir réel de comprendre le message que celui-ci veut faire passer. Et lorsque cette disponibilité existe, la fécondité du débat est d'autant plus grande que les participants viennent d'horizons différents. L'intérêt d'une discussion est donc fonction, dans une large mesure, de la diversité des conceptions qui s'y affrontent. »
Popper, Conjectures et réfutations
La tradition rationaliste occidentale est celle de la discussion critique, qui consiste à examiner et tester les propositions ou théories en réfutant leurs contradictions. »
« La connaissance est recherche de la vérité - recherche de théories objectivement vraies, explicatives. Elle n'est pas recherche de certitude. L'erreur est humaine : toute connaissance humaine est faillible, et par là incertaine. Il s'ensuit que nous devons rigoureusement distinguer vérité et certitude. Que l'erreur soit humaine signifie que nous devons encore et toujours lutter contre elle, mais aussi que, si minutieux soyons-nous, nous ne pouvons jamais nous assurer de n'avoir pas malgré tout commis une erreur. En matière de science, une faute par nous commise - une erreur - consiste pour l'essentiel en ce que nous tenons pour vraie une théorie qui ne l'est pas. Bien plus rarement, elle consiste en ce que nous tenons une théorie pour fausse quoiqu'elle soit vraie. Combattre la faute, l'erreur, cela veut donc dire que l'on recherche une vérité objective et que l'on fait tout pour détecter et éliminer des non-vérités. Telle est la tâche de l'activité scientifique. On peut donc dire : notre objectif, à nous hommes de science, c'est la vérité objective ; plus de vérité, une vérité plus congruente (1), mieux intelligible. La certitude ne peut raisonnablement être notre objectif. Si nous entrevoyons que la connaissance humaine est faillible, alors nous entrevoyons aussi que nous ne pouvons jamais être tout à fait certains de n'avoir pas commis de faute. »
Popper, À la Recherche d'un monde meilleur (1984)
La connaissance est recherche de vérités objectives explicatives.
« J'ai traité le déterminisme physique de cauchemar. C'est un cauchemar parce qu'il affirme que le monde entier, avec tout ce qu'il contient, est un gigantesque automate, et que nous ne sommes rien d'autre que des petits rouages, ou des sous-automates dans le meilleur des cas. Il détruit ainsi, en particulier, l'idée de créativité. Il réduit à l'état de complète illusion l'idée que, dans la préparation de cette conférence, je me suis servi de mon cerveau pour créer quelque chose de nouveau. Ce qui s'est passé là, selon le déterminisme physique, c'est que certaines parties de mon corps ont tracé des marques noires sur un papier blanc, et rien de plus : tout physicien disposant d'une information suffisamment détaillée pourrait avoir écrit ma conférence grâce à cette méthode très simple : prédire les endroits précis où le système physique composé de mon corps (y compris mon cerveau, bien sûr, et mes doigts) et de mon stylo tracerait des marques noires. Ou, pour utiliser un exemple plus frappant : si le déterminisme physique est correct, alors un physicien complètement sourd, qui n'aurait jamais entendu de musique de sa vie, pourrait écrire toutes les symphonies et tous les concertos de Mozart ou de Beethoven, au moyen d'une méthode simple, qui consisterait à étudier les états physiques précis de leur corps et à prédire où ils traceraient des marques noires sur leur portée. Et notre physicien sourd pourrait même faire bien mieux : en étudiant les corps de Mozart et de Beethoven avec assez de soin, il pourrait écrire des partitions qui n'ont jamais été réellement écrites par Mozart ou Beethoven, mais qu'ils auraient écrites si certaines circonstances de leur vie avaient été différentes - s'ils avaient mangé, disons, de l'agneau au lieu de poulet et bu du thé au lieu de café. »
Popper, La Connaissance objective (1972)
« Le déterminisme physique affirme que nous sommes des automates, sans créativité et que notre cerveau est réduit à l'état de complète illusion. »
« Ni la nature ni l'histoire ne peuvent nous dire ce que nous devons faire. Les faits, qu'ils soient naturels ou historiques, ne peuvent pas prendre de décisions à notre place, ils ne peuvent pas déterminer les buts que nous allons choisir. C'est à nous qu'il revient d'introduire buts et sens dans la nature et dans l'histoire. Les hommes ne sont pas égaux entre eux ; mais nous pouvons décider de lutter pour l'égalité des droits. Les institutions humaines, comme par exemple l’État, ne sont pas rationnelles ; mais nous pouvons décider de lutter pour les rendre plus rationnelles. Nous-mêmes, avec notre langage, sommes grosso modo plus émotionnels que rationnels, et nous pouvons essayer de nous montrer un peu plus rationnels, et nous pouvons nous exercer à employer notre langage non comme un moyen d'expression, […] mais comme moyen de communication rationnelle. L'histoire elle-même, j'entends bien sûr ici histoire de l'hégémonie (1) et non celle, inexistante, du développement de l'humanité, n'a ni but ni sens ; mais nous pouvons décider de les lui conférer tous les deux. Nous pouvons en faire une lutte pour la société ouverte (2) et contre ses ennemis, et nous pouvons l'interpréter en conséquence. En fin de compte, on peut en dire de même du “sens de la vie”. C'est à nous qu'il incombe de décider du but de notre vie et de déterminer nos objectifs. Je considère ce dualisme des faits et des décisions comme fondamental. Les faits n'ont pas de sens en soi ; seules nos décisions peuvent leur en conférer un. »
Popper “le sens et l'écriture de l'histoire”, dans Toute vie est résolution de problèmes (1962)
Ni la nature ni l'histoire ne peuvent nous dire ce que nous devons faire, c'est à nous qu'il revient d'introduire buts et sens dans la nature et dans l'histoire. On doit décider du but de notre vie et déterminer nos objectifs, les faits n'ont pas de sens en soi, seules nos décisions peuvent leur en conférer un.
« Le rēsultat des tests (1) est la sēlection des hypothēses qui ont rēsistē aux ēpreuves, au moyen de l'ēlimination de celles qui ne l'ont pas fait, et qui ont en consēquence ētē rejetēes. Il est important de se rendre compte des consēquences de cette conception. Ce sont celles-ci : tous les tests peuvent ētre interprētēs comme des tentatives d'ēlimination des thēories fausses – des essais pour dēcouvrir les points faibles d'une thēorie, afin de la rejeter si elle est falsifiēe. On estime parfois que cette conception est paradoxale ; notre but, dit-on, est d'ētablir des thēories, non pas d'ēliminer celles qui sont fausses. Mais prēcisēment parce que notre but est d'ētablir des thēories du mieux que nous le pouvons, nous devons les tester aussi sēvērement que nous le pouvons ; c'est-ā-dire que nous devons essayer de les mettre en dēfaut, de les rēfuter. Ce n'est que si nous ne pouvons pas les rēfuter, en dēpit des plus grands efforts, que nous pouvons dire qu'elles ont rēsistē aux tests les plus sēvēres. C'est la raison pour laquelle la dēcouverte d'exemples qui confirment une thēorie a trēs peu de signification, si nous n'avons pas essayē, sans succēs, de dēcouvrir des rēfutations. Car si nous ne prenons pas une attitude critique, nous trouverons toujours ce que nous dēsirons : nous rechercherons, et nous trouverons, des confirmations ; nous ēviterons, et nous ne verrons pas, tout ce qui pourrait ētre dangereux pour nos thēories favorites. De cette façon, il n'est que trop aisē d'obtenir ce qui semble une preuve irrēsistible en faveur d'une thēorie qui, si on l'avait approchēe d'une façon critique, aurait ētē rēfutēe. Afin de faire fonctionner la mēthode de sēlection par ēlimination, et de garantir que seules les thēories les plus convenables survivent, leur lutte pour la vie doit ētre rendue sēvēre. »
Popper, Misēre de l'historicisme (1945)
La sélection des hypothèses se fait grâce à la mise en échec de celles qui ne tiennent pas. Les tests sont donc une manière de tester les points faibles d'une théorie pour l'abattre si elle est falsifiée.
« Je voudrais […] opposer au relativisme une idēe presque toujours confondue avec celui-ci mais qui lui est pourtant profondēment ētrangēre. J’ai souvent dēsignē cette position sous le nom de pluralisme, mais cela n’a pas ētē sans ambiguītē. C’est pourquoi je veux ici la qualifier de pluralisme critique. Tandis que le relativisme, qui ressort d’une tolērance laxiste, conduit au rēgne de la violence, le pluralisme critique, lui, peut contribuer ā la maītrise de la violence. Pour ce qui est de la construction du relativisme et du pluralisme critique, le concept de vēritē est d’une importance dēcisive. Le relativisme est la position selon laquelle on peut tout affirmer ou presque tout, et par consēquent rien. Tout est vrai, ou rien ne l’est. La vēritē est alors sans signification. Le pluralisme critique est la position selon laquelle, dans l’intērēt de la vēritē, chaque thēorie – tant mieux si elles sont nombreuses – doit entrer en concurrence avec d’autres. Cette concurrence consiste dans la discussion rationnelle des thēories et leur examen critique. La discussion est rationnelle, cela signifie que l’enjeu est la vēritē des thēories en concurrence : la thēorie qui semble se rapprocher le plus de la vēritē dans la discussion critique est la meilleure ; et la meilleure thēorie ēvince les plus mauvaises. L’enjeu est ici la vēritē. L’idēe d’une vēritē objective et l’idēe d’une recherche de la vēritē sont ici d’une importance dēcisive. »
Popper, Tolērance et responsabilitē intellectuelle (1981)
Je veux opposer au relativisme une idée profondément étrange : il existe des vérités objectives.
« Il convient de travailler ā l’ēlimination de maux concrets et non pour mettre en œuvre un bien abstrait. Il ne faut pas chercher ā instaurer le bonheur par des moyens politiques, mais au contraire ā supprimer des maux bien rēels. Ou encore, plus concrētement : il s’agit de combattre la pauvretē par des moyens directs en s’assurant, par exemple, que tous disposent d’un minimum de revenus, de lutter contre les ēpidēmies et la maladie en crēant des hōpitaux et des facultēs de mēdecine, de combattre l’analphabētisme comme on lutte contre la criminalitē. L’essentiel est d’employer des moyens directs. Il suffit de dēterminer quel est le mal qui affecte le plus gravement la sociētē et de s’efforcer patiemment de montrer ā autrui la possibilitē de l’ēliminer. Mais il ne faut pas chercher ā rēaliser ces objectifs par des voies indirectes en dēfinissant l’idēal lointain d’une sociētē entiērement bonne et en s’attachant ā mettre cet idēal en œuvre. Quelle que soit la force du sentiment d’obligation que cette vision nous inspire, il n’y a pas lieu de se sentir requis de lui donner corps ou de s’imaginer investi de la mission d’en faire dēcouvrir ā autrui toute la beautē. Il ne faut pas que cette vision imaginaire d’un monde merveilleux nous fasse nēgliger les revendications d’individus qui souffrent hic et nunc (1). Nos semblables sont fondēs ā attendre de nous un secours. Aucune gēnēration ne doit ētre sacrifiēe au nom des gēnērations ā venir et d’un idēal de bonheur qu’on risque de ne jamais atteindre. Je considēre, en rēsumē, que l’allēgement des maux dont souffrent les hommes est le problēme qui se pose avec le plus d’acuitē ā une politique sociale rationnelle et que la question du bonheur est d’un autre ordre. Laissons au domaine privē cette recherche du bonheur. »
Popper, Conjectures et rēfutations (1963)
Il convient de travailler à l’élimination de maux concrets plutôt qu’à la mise en œuvre d’un bien abstrait.
« L'idēal d'une connaissance absolument certaine et dēmontrable s'est rēvēlē ētre une idole. L'exigence d'objectivitē scientifique rend inēvitable que tout ēnoncē scientifique reste nēcessairement et ā jamais donnē ā titre d'essai. En effet un ēnoncē peut ētre corroborē mais toute corroboration est relative ā d'autres ēnoncēs qui sont eux aussi proposēs ā titre d'essai. Ce n'est que dans nos expēriences subjectives de conviction, dans notre confiance personnelle, que nous pouvons ētre “absolument certains”. Avec l'idole de la certitude (qui inclut celle de la certitude imparfaite ou probabilitē) tombe l'une des dēfenses de l'obscurantisme, lequel met un obstacle sur la voie du progrēs scientifique. Car l'hommage rendu ā cette idole entrave non seulement l’audace de nos questions mais aussi la rigueur et l’honnētetē de nos tests. La conception erronēe de la science se manifeste dans le dēsir d’avoir raison. Car ce qui fait l'homme de science, ce n'est pas la possession du savoir, d'une irrēfutable vēritē, mais la quēte obstinēe et audacieusement critique de la vēritē. »
Popper, La Logique de la dēcouverte scientifique (1934)
Le défi est dans une connaissance absolument certaine et démontrable qui a révélé être une idole.