Vous êtes en specialité HLP ? Cliquez ici pour accéder aux cours de HLP !

Nietzsche

1844 – 1900

Biographie & Contexte

Nietzsche émerge dans une Allemagne en pleine transformation durant la seconde moitié du XIXe siècle, marquée par l'industrialisation, l'unification sous la Prusse et la création de l'Empire allemand en 1871.

Cette période d'expansion coloniale et de montée des États-nations européens voit aussi l'essor des idées socialistes et démocratiques, face auxquelles il adopte une posture critique. Initialement influencé par l'idéalisme allemand et Schopenhauer, il développe une pensée originale qui s'oppose à la tradition philosophique occidentale.

Bien que marqué par le darwinisme et les avancées scientifiques de son époque, il maintient une distance critique envers le positivisme et le scientisme. Sa philosophie évolue en trois phases principales : ses premiers écrits explorant la culture grecque antique et critiquant la rationalité socratique, sa période médiane introduisant les concepts du "gai savoir" et de la mort de Dieu, et ses œuvres tardives développant les concepts du surhomme, de la volonté de puissance et de l'éternel retour.

Sa pensée, qui se déploie notamment dans "La Naissance de la tragédie" (1872), "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885) et "Par-delà bien et mal" (1886), se caractérise par une critique radicale des valeurs établies et une affirmation de la vie comme lutte perpétuelle de forces en devenir.

Cette philosophie, qui remet en question les fondements de la morale et de la métaphysique occidentales, continue d'influencer profondément la pensée contemporaine.

Citations Célèbres

" Dieu est mort."

— devoir

Lorsque Nietzsche annonce la mort de Dieu, il ne s'agit pas simplement d'un constat d'athéisme mais d'un événement beaucoup plus radical: c'est l'humanité elle-même qui aurait tué Dieu, sans même s'en rendre compte. Privés de la transcendance divine qui donnait un sens au monde, les hommes seraient désormais livrés à un "néant" angoissant. Il n'y a plus de fondement métaphysique immuable sur lequel l'homme pourrait s'appuyer. Sans Dieu, c'est donc tout l'ordre ancien du monde qui s'écroule, laissant l'humanité dans un profond désarroi.

"La volonté de vérité pourrait être secrètement une volonté de mort."

— vérité

Nietzsche soulève la question de la vérité en affirmant que la quête de la vérité peut avoir un aspect négatif. Il suggère que la poursuite de la vérité peut être une forme de désir de mort, car elle implique souvent une critique radicale des valeurs et des croyances établies, ce qui peut conduire à une destruction de l”ancien monde pour en créer un nouveau.

"Dieu est mort ! Et c’est nous qui l’avons tué !"

— religion

"Dieu est mort ! Et c”est nous qui l”avons tué !" Cette phrase de Nietzsche signifie que la notion de dieu, comme figure créatrice et jugulaire, a perdu son pouvoir sur l”humanité. Les individus sont maintenant libres de se créer leur propre sens et leur propre valeurs, sans la tutelle d”une autorité divine.

"L’art est le grand stimulant de la vie."

— art

Selon Nietzsche, l”art est un puissant moteur qui énergise la vie. Il n”est pas une simple forme d”expression, mais plutôt un moyen pour l”individu de se transcender et de créer du sens dans le monde. L”art est ainsi la clef pour vivre intensément et pour donner une direction à sa existence.

"Si l’on a conçu des hommes libres, c’est afin qu’ils puissent devenir coupables"

— liberté

Nietzsche énonce que la liberté n”est pas absente de fautes ou d”erreurs. Au contraire, elle suppose la capacité à choisir et à prendre des décisions qui peuvent être jugées comme mauvaises ou coupables. La liberté implique donc une responsabilité individuelle.

Thèses Principales

Majeure

Toute grande création naît de l'union des forces d'ivresse et de mesure

Mineure

L'art combine l'ivresse dionysiaque et la forme apollinienne

Conclusion

Donc l'art est la plus haute expression de cette réconciliation

Majeure

Ce qui affirme la vie dans sa totalité est source de joie

Mineure

L'amor fati est l'affirmation totale de la vie

Conclusion

Donc le bonheur est dans l'amor fati

Majeure

La morale des esclaves inverse les valeurs vitales

Mineure

Le devoir contraint la vie au nom de valeurs transcendantes

Conclusion

Donc le devoir est une valeur anti-vitale

Majeure

La vie est mue par des forces non rationnelles

Mineure

Ces forces agissent hors de la conscience

Conclusion

Donc l'inconscient est vital

Majeure

Les faibles inversent les valeurs par ressentiment

Mineure

La justice égalitaire nie la vie

Conclusion

Donc la justice est une valeur négative

Majeure

L'esprit libre crée ses propres valeurs

Mineure

Cette création exprime la volonté de puissance

Conclusion

Donc la liberté est création

Majeure

Tout être tend à accroître sa puissance

Mineure

Cette tendance est la nature même

Conclusion

Donc la nature est puissance

Majeure

La raison sert à dominer le réel

Mineure

Cette domination exprime la volonté de puissance

Conclusion

Donc la raison est instrument de puissance

Majeure

La religion dévalorise ce monde

Mineure

Cette dévaluation vient du ressentiment

Conclusion

Donc la religion est nihiliste

Majeure

Tout revient éternellement

Mineure

Ce retour affirme la vie

Conclusion

Donc le temps est cyclique

Majeure

Il n'y a que des interprétations

Mineure

Les perspectives sont multiples

Conclusion

Donc la vérité est perspectiviste

Textes à l'étude

le besoin de connaître : une quête de familiarité et de sécurité

« Je me suis demandé […] ce que le peuple entend au fond par connaissance, que cherche-t-il quand il la demande ? Rien que ceci : ramener quelque chose d'étranger à quelque chose de connu. Nous, philosophes, que mettons-nous de plus dans ce mot ? Le connu, c'est-à-dire les choses auxquelles nous sommes habitués, de telle sorte que nous ne nous en étonnant plus ; nous y mettons notre menu quotidien, une règle quelconque qui nous mène, tout ce qui nous est familier… Eh quoi ? Notre besoin de connaître n'est-il pas justement notre besoin de familier ? Le désir de trouver, parmi tout ce qui nous est étranger, inhabituel, énigmatique, quelque chose qui ne nous inquiète plus ? Ne serait-ce pas l'instinct de la peur qui nous commanderait de connaître ? Le ravissement qui accompagne l'acquisition de la connaissance ne serait-il pas la volupté de la sécurité retrouvée ? »
Nietzsche

Thèse

Notre besoin de connaître est notre besoin de familier. Nous recherchons la sécurité retrouvée.

l'illusion du libre arbitre

« En contemplant une chute d'eau, nous croyons voir dans les innombrables ondulations, serpentements, brisements des vagues, liberté de la volonté et caprice ; mais tout est nécessité, chaque mouvement peut se calculer mathématiquement. Il en est de même pour les actions humaines ; on devrait pouvoir calculer d'avance chaque action, si l'on était omniscient, et de même chaque progrès de la connaissance, chaque erreur, chaque méchanceté. L'homme agissant lui même est, il est vrai, dans l'illusion du libre arbitre ; si à un instant la roue du monde s'arrêtait et qu'il y eût là une intelligence calculatrice omnisciente pour mettre à profit cette pause, elle pourrait continuer à calculer l'avenir de chaque être jusqu'aux temps les plus éloignés et marquer chaque trace où cette roue passera désormais. L'illusion sur soi-même de l'homme agissant, la conviction de son libre arbitre, appartient également à ce mécanisme, qui est objet de calcul. »
Nietzsche

Thèse

Chaque action humaine est une nécessité

les martyrs, une illusion de vérité

« Que des martyrs prouvent quelque chose quant à la vérité d'une cause, cela est si peu vrai que je veux montrer qu'aucun martyr n'eut jamais le moindre rapport avec la vérité. Dans la façon qu'a un martyr de jeter sa certitude à la face de l'univers s'exprime un si bas degré d'honnêteté intellectuelle, une telle fermeture d'esprit devant la question de la vérité, que cela ne vaut jamais la peine qu'on la réfute. La vérité n'est pas une chose que l'un posséderait et l'autre non (..). Plus on s'avance dans les choses de l'esprit, et plus la modestie, l'absence de prétentions sur ce point deviennent grandes : être compétent dans trois ou quatre domaines, avouer pour le reste son ignorance… Les martyrs furent un grand malheur dans l'histoire : ils séduisirent. Déduire qu'une cause pour laquelle un homme accepte la mort doit bien avoir quelque chose pour elle - cette logique fut un frein inouï pour l'examen, l'esprit critique, la prudence intellectuelle. Les martyrs ont porté atteint à la vérité. Il suffit encore aujourd'hui d'une certaine cruauté dans la persécution pour donner à une secte sans aucun intérêt une bonne réputation. Comment ? Que l'on donne sa vie pour une cause, cela change-t-il quelque chose à sa valeur ? Ce fut précisément l'universelle stupidité historique de tous les persécuteurs qui donnèrent à la cause adverse l'apparence de la dignité. »
Nietzsche

Thèse

Le martyre ne prouve jamais rien quant à la vérité.

les conséquences intérieures de l'injustice

« Une injustice que l'on a faite à quelqu'un est beaucoup plus lourde à porter qu'une injustice que quelqu'un d'autre vous a faite (non pas précisément pour des raisons morales, il faut le remarquer) ; car, au fond, celui qui agit est toujours celui qui souffre, mais bien entendu seulement quand il est accessible au remords ou bien à la certitude que, par son acte, il aura armé la société contre lui et il se sera lui-même isolé. C'est pourquoi, abstraction faite de tout ce que commandent la religion et la morale, on devrait, rien qu'à cause de son bonheur intérieur, donc pour ne pas perdre son bien-être, se garder de commettre une injustice plus encore que d'en subir une : car dans ce dernier cas, on a la consolation de la bonne conscience, de l'espoir de la vengeance, de la pitié et de l'approbation des hommes justes, et même de la société tout entière, laquelle craint les malfaiteurs. »
Nietzsche

Thèse

Une injustice que l'on a faite à quelqu'un est beaucoup plus lourde à porter qu'une injustice que quelqu'un d'autre nous a faite.

la création artistique et philosophique : un travail de sélection et de transformation

« Les artistes ont quelque intérêt à ce que l'on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. En vérité, l'imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; on voit ainsi aujourd'hui, par les Carnets de Beethoven, qu'il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d'esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s'en remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ; mais c'est un bas niveau que celui de l'improvisation artistique au regard de l'idée choisie avec peine et sérieux pour une œuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger. »
Nietzsche

Thèse

Les artistes ont intérêt à ce que l'on croie à leurs inspirations subites et imaginatives.

l'énigme du génie : révélation des processus créatifs**

« L'activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l'activité de l'inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique. Toutes ces activités s'expliquent si l'on se représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d'observer diligemment (1) leur vie intérieure et celle d'autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien que d'apprendre d'abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l'homme est compliquée à miracles, non pas seulement celle du génie, mais aucune n'est un “miracle” - D'où vient donc cette croyance qu'il n'y a de génie que chez l'artiste, l'orateur et le philosophe ? qu'eux seuls ont une “intuition” ? Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d'autre part éprouver d'envie. Nommer quelqu'un “divin” c'est dire : “ici nous n'avons pas à rivaliser”. En outre, tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or, personne ne peut voir dans l'œuvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi… »
Nietzsche

Thèse

« Tous les hommes ont le génie en eux-mêmes, mais on ne nous dit qu'il s'agit de l'artiste, l'orateur et le philosophe… »

les erreurs de notre perception morale

« Comment nous comportons-nous vis-à-vis des actes d'un homme de notre entourage ? Tout d'abord nous considérons ce qu'il en résulte pour nous, nous ne les considérons que sous ce point de vue. Cet effet causé sur nous, nous y voyons l'intention de l'acte et pour finir nous attribuons à cet homme comme un caractère permanent le fait d'avoir eu de telles intentions, et désormais nous le qualifions, par exemple, d'“homme nuisible”. Triple erreur ! Triple méprise, vieille comme le monde ! […]. Ne faut-il pas chercher l'origine de toute morale dans ces horribles petites conclusions : “ce qui me nuit est quelque chose de mauvais (de nuisible en soi) ; ce qui m'est utile est quelque chose de bon (de bienfaisant et d'utile en soi), ce qui me nuit une ou plusieurs fois est hostile en soi et foncièrement ; ce qui m'est utile une ou plusieurs fois est amical en soi et foncièrement. ”O pudenda origo” (1) ! Cela ne revient-il pas à interpréter les misérables relations occasionnelles et souvent fortuites d'un autre à nous comme si ces relations étaient l'essence et le fond de son être, et prétendre qu'envers tout le monde et envers soi-même il n'est capable que de relations semblables à celles dont nous avons fait une ou plusieurs fois l'expérience ? Et derrière cette véritable folie n'y a-t-il pas la plus immodeste de toutes les arrière-pensées : croire qu'il faut que nous soyons nous-mêmes le principe du bien puisque le bien et le mal se mesurent d'après nous ? »
Nietzsche

Thèse

Comment nos relations avec les actes d'un homme influencent notre perception de lui, et comment nous définissons sa nature.

l'action pour un bonheur collectif

« Afin de ne pas perdre courage et de ne pas succomber au dégoût, parmi des oisifs débiles (1) et incorrigibles, ou parmi des compagnons qui ne sont actifs qu'en apparence mais en réalité seulement agités et frétillants, l'homme d'action jette un regard en arrière et interrompt un moment sa course, ne fût-ce que pour reprendre haleine. Mais son but est toujours un bonheur, pas nécessairement son propre bonheur, mais celui d'une nation ou de l'humanité tout entière. Il répugne à la résignation et il use de l'histoire comme d'un remède à la résignation. Il ne peut le plus souvent compter sur aucune récompense, si ce n'est la gloire, c'est-à-dire le droit d'occuper une place d'honneur dans le temple de l'histoire (2), où il pourra servir de maître, de consolateur ou d'avertissement pour la postérité (3). Car la loi qu'il reconnaît, c'est que tout ce qui a jamais été capable d'élargir et d'embellir la notion de “l'homme” doit rester éternellement présent, afin de maintenir éternellement présente cette possibilité. »
Nietzsche

Thèse

L'homme d'action jette un regard en arrière, puis reprend haleine pour poursuivre son but : faire du bonheur à l'échelle nationale ou mondiale. Il s'oppose à la résignation et utilise l'histoire comme remède. Sa seule récompense est souvent la gloire dans le temple de l'histoire, où il devient un maître, un consolateur ou une leçon pour les générations futures.

l'importance de la méthode scientifique dans la recherche de la vérité

« A tout prendre, les méthodes scientifiques sont un aboutissement de la recherche au moins aussi important que n'importe quel autre de ses résultats ; car c'est sur l'intelligence de la méthode que repose l'esprit scientifique, et tous les résultats de la science ne pourraient empêcher, si lesdites méthodes venaient à se perdre, une recrudescence de la superstition et de l'absurdité reprenant le dessus. Des gens intelligents peuvent bien apprendre tout ce qu'ils veulent des résultats de la science, on n'en remarque pas moins à leur conversation, et notamment aux hypothèses qui y paraissent, que l'esprit scientifique leur fait toujours défaut : ils n'ont pas cette méfiance instinctive pour les aberrations de la pensée qui a pris racine dans l'âme de tout homme de science à la suite d'un long exercice. Il leur suffit de trouver une hypothèse quelconque sur une matière donnée, et les voilà tout feu tout flamme pour elle, s'imaginant qu'ainsi tout est dit. Avoir une opinion, c'est bel et bien pour eux s'en faire les fanatiques et la prendre dorénavant à cœur en guise de conviction. Y a-t-il une chose inexpliquée, ils s'échauffent pour la première fantaisie qui leur passe par la tête et ressemble à une explication ; il en résulte continuellement, surtout dans le domaine de la politique, les pires conséquences. »
Nietzsche

Thèse

La science se fait valoir non seulement par ses résultats mais aussi par la méthode qui les obtient, et si on perd cette méthode l'intelligence scientifique repasse à l'obscurité ; il n'y a rien de pire que de s'imaginer avoir une explication en s'en faisant le fanatique.

« Ramener quelque chose d'inconnu à quelque chose de connu, cela soulage, rassure, satisfait, et procure en outre un sentiment de puissance. Avec l'inconnu, c'est le danger, l'inquiétude, le souci qui apparaissent - le premier mouvement instinctif vise à éliminer ces pénibles dispositions. Premier principe : n'importe quelle explication vaut mieux que pas d'explication du tout. Comme au fond il ne s'agit que d'un désir de se débarrasser d'explications angoissantes, on ne se montre pas très exigeant sur les moyens de les chasser : la première idée par laquelle l'inconnu se révèle connu fait tant de bien qu'on la “tient pour vraie”. La preuve du plaisir (ou de l'efficacité) comme critère de la vérité… Ainsi, l'instinct de causalité est provoqué et excité par le sentiment de crainte. Aussi souvent que possible le “pourquoi ?” ne doit pas tant donner la cause pour elle-même qu'une certaine sorte de cause : une cause rassurante, qui délivre et soulage. »
Nietzsche

Thèse

La vie nous pousse à ramener l'inconnu à quelque chose connu.

l'illusion de l'indépendance et le véritable sens du libre arbitre

« Aussi longtemps que nous ne nous sentons pas dépendre de quoi que ce soit, nous nous estimons indépendants : sophisme qui montre combien l'homme est orgueilleux et despotique. Car il admet ici qu'en toutes circonstances il remarquerait et reconnaîtrait sa dépendance dès qu'il la subirait, son postulat étant qu'il vit habituellement dans l'indépendance et qu'il éprouverait aussitôt une contradiction dans ses sentiments s'il venait exceptionnellement à la perdre. - Mais si c'était l'inverse qui était vrai, savoir qu'il constamment dans une dépendance multiforme, mais s'estime libre quand il cesse de sentir la pression de ses chaînes du fait d'une longue accoutumance ? S'il souffre encore, ce n'est plus que de ses chaînes nouvelles : - le “libre arbitre” ne veut proprement rien dire d'autre que ne pas sentir ses nouvelles chaînes. »
Nietzsche

Thèse

L'homme est orgueilleux et despotique car il admet son dépendance à la condition qu'il ne la subit pas.

la vérité comme commodité et avantage

« Pourquoi, dans la vie de tous les jours, les hommes disent-ils la plupart du temps la vérité ? -Sûrement pas parce qu'un dieu a interdit le mensonge. Mais, premièrement, parce que c'est plus commode ; car le mensonge réclame invention, dissimulation et mémoire. Ensuite, parce qu'il est avantageux, quand tout se présente simplement, de parler sans détours : je veux ceci, j'ai fait cela, et ainsi de suite ; c'est-à-dire parce que les voies de la contrainte et de l'autorité sont plus sûres que celles de la ruse. - Mais s'il arrive qu'un enfant ait été élevé au milieu de complications familiales, il maniera le mensonge tout aussi naturellement et dira toujours involontairement ce qui répond à son intérêt ; sens de la vérité, répugnance pour le mensonge en tant que tel lui sont absolument étrangers, et ainsi donc il ment en toute innocence. »
Nietzsche

Thèse

Les hommes disent la plupart du temps la vérité parce que c'est plus commode et avantageux.

l'incompréhension comme mesure de la peine

« Le criminel qui connaît tout l'enchaînement des circonstances ne considère pas, comme son juge et son censeur, que son acte est en dehors de l'ordre et de la compréhension : sa peine cependant lui est mesurée exactement selon le degré d'étonnement qui s'empare de ceux-ci, en voyant cette chose incompréhensible pour eux, l'acte du criminel. - Lorsque le défenseur d'un criminel connaît suffisamment le cas et sa genèse, les circonstances atténuantes qu'il présentera, les unes après les autres, finiront nécessairement par effacer toute la faute. Ou, pour l'exprimer plus exactement encore : le défenseur atténuera degré par degré cet étonnement qui veut condamner et attribuer la peine, il finira même par le supprimer complètement, en forçant tous les auditeurs honnêtes à s'avouer dans leur for intérieur : “Il lui fallut agir de la façon dont il a agi ; en punissant, nous punirions l'éternelle nécessité.” - Mesurer le degré de la peine selon le degré de connaissance que l'on a ou peut avoir de l'histoire du crime, - n'est-ce pas contraire à toute équité ? »
Nietzsche

Thèse

Le criminel qui connaît l'enchaînement des circonstances considère que son acte est compréhensible.

l'illogique nécessaire à  l'homme
Extrait de : Humain, trop humain

« Au nombre des choses qui peuvent porter un penseur au désespoir se trouve d'avoir reconnu que l'illogique est nécessaire à l'homme, et qu'il en naît beaucoup de bien. L'illogique tient si solidement au fond des passions, du langage, de l'art, de la religion, et généralement de tout ce qui confère quelque valeur à la vie, que l'on ne saurait l'en arracher sans gâter ces belles choses irréparablement. Ce sont les hommes par trop naïfs qui peuvent seuls croire à la possibilité de transformer la nature humaine en nature purement logique ; mais s'il devait y avoir des degrés pour approcher ce but, que ne faudrait-il pas laisser perdre chemin faisant ! Même l'être le plus raisonnable a de temps en temps besoin de retrouver la nature, c'est-à-dire le fond illogique de sa relation avec toutes choses. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Thèse

L'illogique est nécessaire à l'homme.

la valeur inestimable de la contrainte
Extrait de : Par delà Bien et mal

« Toute morale est contraire au laisser-aller, c'est une tyrannie qui s'exerce sur la “nature” et aussi sur la “raison” ; ce n'est pas pour autant une objection, à moins qu'on ne veuille décréter au nom de quelque autre morale l'interdiction de toute tyrannie et de toute déraison. L'essentiel de toute morale, ce qui en fait la valeur inestimable c'est qu'elle est une longue contrainte. […] Il faut se souvenir que c'est toujours par l'effet d'une contrainte que le langage est parvenu à acquérir vigueur et liberté : contrainte métrique, tyrannie de la rime et du rythme. Que de peines se sont données dans toutes les nations les poètes et les orateurs, sans en excepter quelques prosateurs de nos jours, dont l'oreille est d'une exigence inexorable ! […] Si étrange que cela puisse sembler, tout ce qui existe et a jamais existé sur la terre, en fait de liberté, de finesse, d'audace, de danse et de magistrale assurance, que ce soit dans la pensée proprement dite, dans l'art de gouverner, de parler ou de convaincre, dans les arts ou dans les morales, n'a jamais pu fleurir que sous la tyrannie de ces “lois arbitraires”. Et je le dis très sérieusement, selon toute apparence c'est la contrainte qui est la nature ou le naturel, et non pas le laisser-aller. Tout artiste sait par expérience combien il est loin du sentiment du laisser-aller, quand il est dans l'état qui lui est le plus “naturel”, l'état d'inspiration, où en pleine liberté il ordonne, dispose, agence et construit. Avec quelle rigueur et quelle précision délicate il obéit justement alors à de multiples lois dont la rigueur et la précision le mettraient au défi de les formuler en concepts ; comparé à ces lois, le concept le plus ferme a quelque chose de flottant, de complexe, d'équivoque. Pour le dire encore une fois, il semble que l'essentiel “au ciel et sur la terre” soit d'obéir longuement et toujours dans le même sens ; il en résulte, il finit toujours par en résulter quelque chose pour quoi il vaut la peine de vivre : vertu, art, musique, danse, raison, spiritualité, quelque chose d'illuminant, de raffiné, de fou, de divin. »
Nietzsche, Par delà Bien et mal

Thèse

La morale est une tyrannie qui s'exerce sur la nature et la raison, mais elle permet l'émergence de la liberté, de la finesse et de l'audace. La contrainte est la vraie nature, et non le laisser-aller. Les artistes savent que leur état le plus "naturel" est en fait celui de contrainte, où ils ordonnent, disposent et construisent avec rigueur et précision.

le travail de l'artiste : entre inspiration et jugement

« Les artistes ont un intérêt à ce qu'on croie aux intuitions soudaines, aux prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie, tombait du ciel comme un rayon de la grâce. En réalité, l'imagination du bon artiste ou penseur produit constamment du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé, exercé, rejette, choisit, combine ; ainsi, l'on se rend compte aujourd'hui d'après les carnets de Beethoven, qu'il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte triées d'ébauches multiples. Celui qui discerne moins sévèrement et s'abandonne volontiers à la mémoire reproductrice pourra, dans certaines conditions, devenir un grand improvisateur ; mais l'improvisation artistique est à un niveau fort bas en comparaison des pensées artistiques choisies sérieusement et avec peine. Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables non seulement à inventer, mais encore à rejeter, passer au crible, modifier, arranger. »
Nietzsche

Thèse

Les artistes doivent travailler pour créer du bon, pas simplement attendre l'inspiration.

la responsabilité de l'homme face à  ses actes

« Les hommes qui, par profession, jugent et punissent, cherchent à fixer dans chaque cas particulier si un criminel est responsable de son acte, s'il a pu se servir de sa raison, s'il a agi pour obéir à des motifs et non pas inconsciemment ou par contrainte. Si on le punit, c'est d'avoir préféré les mauvaises raisons aux bonnes raisons qu'il devait connaître. Lorsque cette connaissance fait défaut, conformément aux idées dominantes, l'homme n'est pas libre et pas responsable : à moins que son ignorance, par exemple son ignorance de la loi, ne soit la suite d'une négligence intentionnelle de sa part ; c'est donc autrefois déjà, lorsqu'il ne voulait pas apprendre ce qu'il devait, qu'il a préféré les mauvaises raisons aux bonnes et c'est maintenant qu'il pâtit (1) des conséquences de son choix. Si, par contre, il ne s'est pas aperçu des meilleures raisons, par hébétement ou idiotie (2), on n'a pas l'habitude de le punir. On dit alors qu'il ne possédait pas le discernement nécessaire, qu'il a agi comme une bête. »
Nietzsche

Thèse

Les hommes qui jugent et punissent cherchent à fixer si un criminel est responsable de son acte par des raisons conscientes.

la justice comme échange égo´ste
Extrait de : Humain, trop humain

« La justice (l'équité) prend naissance entre hommes jouissant d'une puissance à peu près égale […] ; c'est quand il n'y a pas de supériorité nettement reconnaissable, et qu'un conflit ne mènerait qu'à des pertes réciproques et sans résultat, que naît l'idée de s'entendre et de négocier sur les prétentions de chaque partie : le caractère de troc est le caractère initial de la justice. Chacun donne satisfaction à l'autre en recevant lui-même ce dont il fait plus grand cas que l'autre. On donne à chacun ce qu'il veut avoir et qui sera désormais sien, et l'on reçoit en retour ce que l'on désire. La justice est donc échange et balance une fois posée l'existence d'un rapport de forces à peu près égales : c'est ainsi qu'à l'origine la vengeance ressortit à la sphère de la justice, elle est un échange. […] La justice se ramène naturellement au point de vue d'un instinct de conservation bien entendu, c'est-à-dire à l'égoïsme de cette réflexion : “À quoi bon irais-je me nuire inutilement et peut-être manquer néanmoins mon but ?” Voilà pour l'origine de la justice. Mais du fait que les hommes, conformément à leurs habitudes intellectuelles, ont oublié le but premier des actes dits de justice et d'équité, et notamment que l'on a pendant des siècles dressé les enfants à admirer et imiter ces actes, il s'est peu à peu formé l'illusion qu'une action juste est une action désintéressée ; et c'est sur cette illusion que repose la grande valeur accordée à ces actions. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Thèse

La justice se fonde sur l'égalité des forces entre les hommes et prend naissance dans la négociation. Elle est une échange qui respecte l'intérêt personnel de chaque partie.

la relativité de la morale et de l'intention
Extrait de : Humain, trop humain

« Nous n'accusons pas la nature d'immoralité quand elle nous envoie un orage et nous trempe : pourquoi disons-nous donc immoral l'homme qui fait quelque mal ? Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur. En outre, ce n'est même pas en toutes circonstances que nous appelons immorale une action intentionnellement nuisible ; on tue par exemple une mouche délibérément, mais sans le moindre scrupule, pour la pure et simple raison que son bourdonnement nous déplaît, on punit et fait intentionnellement souffrir le criminel afin de se protéger, soi et la société. Dans le premier cas, c'est l'individu qui, pour se conserver ou même pour s'éviter un déplaisir, cause intentionnellement un mal ; dans le second, c'est l'État. Toute morale admet les actes intentionnellement nuisibles en cas de légitime défense, c'est-à-dire quand il s'agit de conservation ! Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions exercées par des hommes sur les hommes : on veut son plaisir, on veut s'éviter le déplaisir ; en quelque sens que ce soit, il s'agit toujours de sa propre conservation. Socrate et Platon ont raison : quoi que l'homme fasse, il fait toujours le bien, c'est-à-dire ce qui lui semble bon (utile) suivant son degré d'intelligence, son niveau actuel de raison. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Thèse

Nous n'accusons pas la nature d'immoralité pour des décrets arbitraires. L'homme est une nature également, avec des actions arbitraires.

la création artistique et la rigueur du jugement
Extrait de : Humain, trop humain

« Les artistes ont un intérêt à ce qu'on croie aux intuitions soudaines, aux soi-disant inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie, tombait du ciel comme un rayon de la grâce. En réalité, l'imagination du bon artiste ou penseur produit constamment du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé, exercé, rejette, choisit, combine ; ainsi, l'on se rend compte aujourd'hui d'après les Carnets de Beethoven qu'il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte tirées d'ébauches multiples. Celui qui discerne moins sévèrement et s'abandonne volontiers à la mémoire reproductrice pourra, dans certaines conditions, devenir un grand improvisateur ; mais l'improvisation artistique est à un niveau fort bas en comparaison des idées d'art choisies sérieusement et avec peine. Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables non seulement à inventer, mais encore à rejeter, passer au crible, modifier, arranger. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Thèse

Les artistes ont intérêt à ce que l'on croie en leurs inspirations soudaines. En réalité, c'est du travail acharné qui produit l'art.

la communication par l'expérience commune
Extrait de : Par-delà le Bien et le mal

« Qu'est-ce en fin de compte que l'on appelle “commun” ? Les mots sont des symboles sonores pour désigner des idées, mais les idées sont des signes imagés, plus ou moins précis, de sensations qui reviennent fréquemment et simultanément, de groupes de sensations. Il ne suffit pas, pour se comprendre mutuellement, d'employer les mêmes mots ; il faut encore employer les mêmes mots pour désigner la même sorte d'expériences intérieures, il faut enfin avoir en commun certaines expériences. C'est pourquoi les gens d'un même peuple se comprennent mieux entre eux que ceux qui appartiennent à des peuples différents, même si ces derniers usent de la même langue ; ou plutôt, quand des hommes ont longtemps vécu ensemble dans des conditions identiques, sous le même climat, sur le même sol, courant les mêmes dangers, ayant les mêmes besoins, faisant le même travail, il en naît quelque chose qui “se comprend” : un peuple. Dans toutes les âmes un même nombre d'expériences revenant fréquemment a pris le dessus sur des expériences qui se répètent plus rarement : sur elles on se comprend vite, et de plus en plus vite - l'histoire du langage est l'histoire d'un processus d'abréviation. »
Nietzsche, Par-delà le Bien et le mal

Thèse

Un peuple se comprend mieux entre eux que les gens qui ne partagent pas la même culture, même si ils parlent la même langue.

l'importance des méthodes scientifiques dans la préservation de la rationalité
Extrait de : Humain, trop humain

« À tout prendre, les méthodes scientifiques sont un fruit de la recherche au moins aussi important que n'importe quel autre de ses résultats ; car c'est sur l'intelligence de la méthode que repose l'esprit scientifique, et tous les résultats de la science ne pourraient empêcher, si ces méthodes venaient à se perdre, une recrudescence de la superstition et de l'absurdité reprenant le dessus. Des gens intelligents peuvent bien apprendre tout ce qu'ils veulent des résultats de la science, on n'en remarque pas moins à leur conversation, et notamment aux hypothèses qui y paraissent, que l'esprit scientifique leur fait toujours défaut : ils n'ont pas cette méfiance instinctive pour les aberrations de la pensée qui a pris racine dans l'âme de tout homme de science à la suite d'un long exercice. Il leur suffit de trouver une hypothèse quelconque sur une matière donnée, et les voilà tout feu tout flamme pour elle, s'imaginant qu'ainsi tout est dit. Avoir une opinion, c'est bel et bien pour eux s'en faire les fanatiques et la prendre dorénavant à cœur en guise de conviction. Y a-t-il une chose inexpliquée, ils s'échauffent pour la première fantaisie qui leur passe par la tête et ressemble à une explication ; il en résulte continuellement, surtout dans le domaine de la politique, les pires conséquences. C'est pourquoi tout le monde devrait aujourd'hui connaître à font au moins une science ; on saurait tout de même alors ce que c'est que la méthode, et tout ce qu'il y faut d'extrême circonspection. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Thèse

Les méthodes scientifiques sont un fruit de la recherche aussi important que les résultats. L'intelligence de la méthode repose sur l'esprit scientifique.

Extrait de : Humain, trop humain

« Ne venez surtout pas me parler de dons naturels, de talents innés ! On peut citer dans tous les domaines de grands hommes qui étaient peu doués. Mais la grandeur leur est venue, ils se sont faits “génies” (comme on dit), grâce à certaines qualités dont personne n'aime à trahir l'absence quand il en est conscient ; ils possédaient tous cette solide conscience artisanale qui commence par apprendre à parfaire les parties avant de se risquer à un grand travail d'ensemble ; ils prenaient leur temps parce qu'ils trouvaient plus de plaisir à la bonne facture du détail, de l'accessoire, qu'à l'effet produit par un tout éblouissant. Il est facile, par exemple, d'indiquer à quelqu'un la recette pour devenir bon nouvelliste, mais l'exécution en suppose des qualités sur lesquelles on passe en général en disant : “je n'ai pas assez de talent”. Que l'on fasse donc cent projets de nouvelles et davantage, aucun ne dépassant deux pages, mais d'une précision telle que chaque mot y soit nécessaire ; que l'on note chaque jour quelques anecdotes jusqu'à savoir en trouver la forme la plus saisissante, la plus efficace, que l'on ne se lasse pas de collectionner et de brosser des caractères et des types d'humanité, que l'on ne manque surtout pas la moindre occasion de raconter et d'écouter raconter, l'œil et l'oreille attentifs à l'effet produit sur les autres, que l'on voyage comme un paysagiste, comme un dessinateur de costumes, que l'on extraie d'une science après l'autre tout ce qui, bien exposé, produit un effet d'art, que l'on réfléchisse enfin aux motifs des actions humaines, ne dédaigne aucune indication qui puisse en instruire, et soit jour et nuit à collectionner les choses de ce genre. On laissera passer une bonne dizaine d'années en multipliant ces exercices, et ce que l'on créera alors en atelier pourra se montrer aussi au grand jour de la rue. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Thèse

tout ce qui compte c'est de travailler dur et avec patience

l'éloge paradoxal de la vertu
Extrait de : Le gai Savoir

« Nous disons bonnes les vertus d'un homme, non pas à cause des résultats qu'elles peuvent avoir pour lui, mais à cause des résultats qu'elles peuvent avoir pour nous et pour la société : dans l'éloge de la vertu on n'a jamais été bien “désintéressé”, on n'a jamais été bien “altruiste” ! On aurait remarqué, sans cela, que les vertus (comme l'application, l'obéissance, la chasteté, la piété, la justice) sont généralement nuisibles à celui qui les possède, parce que ce sont des instincts qui règnent en lui trop violemment, trop avidement, et ne veulent à aucun prix se laisser contrebalancer raisonnablement par les autres. Quand on possède une vertu, une vraie vertu, une vertu complète (non une petite tendance à l'avoir), on est victime de cette vertu ! Et c'est précisément pourquoi le voisin en fait la louange ! On loue l'homme zélé bien que son zèle gâte sa vue, qu'il use la spontanéité et la fraîcheur de son esprit : on vante, on plaint le jeune homme qui s'est “tué à la tâche ” parce qu'on pense : “Pour l'ensemble social, perdre la meilleure unité n'est encore qu'un petit sacrifice ! Il est fâcheux que ce sacrifice soit nécessaire ! Mais il serait bien plus fâcheux que l'individu pensât différemment, qu'il attachât plus d'importance à se conserver et à se développer qu'à travailler au service de tous !” On ne plaint donc pas ce jeune homme à cause de lui-même, mais parce que sa mort a fait perdre à la société un instrument soumis, sans égards pour lui-même, bref un “brave homme”, comme on dit. »
Nietzsche, Le gai Savoir

Thèse

Nous disons bonnes les vertus d'un homme, non pas à cause des résultats qu'elles peuvent avoir pour lui, mais à cause des résultats qu'elles peuvent avoir pour nous et la société.

le travail créatif : le triomphe de la sélection sur l'inspiration

« Les artistes ont quelque intérêt à ce que l'on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce (1). En vérité, l'imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; on voit ainsi aujourd'hui, par les Carnets de Beethoven (2), qu'il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d'esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s'en remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ; mais c'est un bas niveau que celui de l'improvisation artistique au regard de l'idée choisie avec peine et sérieux pour une œuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger. »
Nietzsche

Thèse

L'idée d'une œuvre ne tombe pas du ciel.

le travail comme moyen ou comme fin ?
Extrait de : Le Gai Savoir

« Dans les pays civilisés presque tous les hommes maintenant sont égaux en ceci qu'ils cherchent du travail en vue du salaire ; pour eux tous, le travail est un moyen et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant. Or il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler sans que le travail leur procure de la joie : ils sont minutieux et difficiles à satisfaire, ils ne se contentent pas d'un gain abondant, lorsque le travail n'est pas lui-même le gain de tous les gains. De cette espèce d'hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toute espèce, mais aussi ces désœuvrés qui consacrent leur vie à la chasse, aux voyages ou bien aux intrigues d'amour et aux aventures. Tous ceux-là cherchent le travail et la peine lorsqu'ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, si cela est nécessaire. Mais autrement ils sont d'une paresse décidée, quand même cette paresse devrait entraîner l'appauvrissement, le déshonneur, des dangers pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent pas autant l'ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d'ennui pour que leur propre travail puisse leur réussir. Pour le penseur et pour tous les esprits inventifs l'ennui est ce désagréable “calme plat” de l'âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre l'effet à part eux. »
Nietzsche, Le Gai Savoir (1882)

Thèse

Dans les pays civilisés, presque tous les hommes sont égaux dans leur recherche d'un travail payant. Cependant, il y a des individus rares qui privilégient la joie du travail plutôt que sa rémunération.

l'évolution du droit pénal face à  la puissance croissante d'une communauté
Extrait de : Généalogie de la morale

« À mesure que s'accroît sa puissance, une communauté accorde moins d'importance aux délits de ses membres, parce qu'ils lui semblent moins subversifs et moins dangereux qu'auparavant pour la survivance de l'ensemble : le malfaiteur n'est plus “banni”, chassé, la colère de tous n'a plus le droit de se déchaîner contre lui aussi librement qu'autrefois, - au contraire il est désormais protégé et défendu par la communauté contre cette colère et notamment contre celle des personnes qui ont subi le préjudice. Le compromis avec la colère de ceux qui ont été immédiatement touchés par le méfait ; l'effort pour localiser l'incident, voire pour prévenir l'extension ou la généralisation de l'effervescence ; la recherche d'équivalents pour régler toute l'affaire ; la volonté surtout, qui se fait de plus en plus pressante, de considérer que toute infraction peut de quelque manière être rachetée, donc de séparer, du moins jusqu'à un certain point, le criminel de son action - voilà les traits qui marquent de plus en plus nettement l'évolution ultérieure du droit pénal. Plus la puissance et la conscience de soi d'une communauté augmentent, plus le droit pénal s'adoucit ; tout affaiblissement et tout péril font réapparaître les formes plus sévères de ce droit. »
Nietzsche, Généalogie de la morale (1887)

Thèse

La puissance et la conscience d'une communauté augmentent, et elle accorde moins d'importance aux délits de ses membres.

les erreurs de jugement dans nos relations avec autrui
Extrait de : Aurore

« Quelle est donc notre attitude vis-à-vis des actes de notre prochain ? — Tout d'abord, nous regardons ce qui résulte pour nous de ces actes, — nous ne les jugeons que de ce point de vue. C'est cet effet causé sur nous que nous considérons comme l'intention de l'acte — et enfin nous lui attribuons de telles intentions en tant que disposition permanente chez lui, et nous en faisons désormais, par exemple, “un homme dangereux”. Triple erreur ! Triple méprise, vieille comme le monde ! Peut-être cet héritage nous vient-il des animaux et de leur faculté de jugement. Ne faut-il pas chercher l'origine de toute morale dans ces horribles petites conclusions : “Ce qui me nuit est quelque chose de mauvais (qui porte préjudice par soi-même) ; ce qui m'est utile est bon (bienfaisant et profitable par soi-même) ; ce qui me nuit une ou plusieurs fois m'est hostile par soi-même ; ce qui m'est utile une ou plusieurs fois m'est favorable par soi-même.” Ô honteuse origine ! Cela ne veut-il pas dire : interpréter les relations pitoyables, occasionnelles et accidentelles qu'un autre peut avoir avec nous comme si ces relations étaient l'essence et le fond de son être, et prétendre qu'envers tout le monde et envers soi-même il n'est capable que de rapports semblables aux rapports que nous avons eus avec lui une ou plusieurs fois ? Et derrière cette véritable folie n'y a-t-il pas la plus immodeste de toutes les arrière-pensées : croire qu'il faut que nous soyons nous-mêmes le principe du bien puisque le bien et le mal se déterminent d'après nous ? »
Nietzsche, Aurore (1887)

Thèse

Notre attitude vis-à-vis des actes est déterminée par l'effet qu'ils causent sur nous.

la punition et la récompense : des moyens d'encouragement plutôt que des justifications
Extrait de : Humain, trop humain

« Celui qui est puni ne mérite pas la punition : on ne se sert de lui que comme d’un moyen d’intimidation pour empêcher à l’avenir certains actes ; celui que l’on récompense ne mérite pas davantage sa récompense : il ne pouvait en effet agir autrement qu’il n’a agi. Ainsi la récompense n’a d’autre sens que d’être un encouragement pour lui et pour les autres, elle a donc pour fin de fournir un motif à de futures actions ; on acclame celui qui est en train de courir sur la piste, non pas celui qui est au but. Ni la peine ni la récompense ne sont choses qui reviennent à l’individu comme lui appartenant en propre ; elles lui sont données pour des raisons d’utilité, sans qu’il ait à y prétendre avec justice. Il faut dire “le sage ne récompense pas parce qu’on a bien agi” de la même manière que l’on a dit “le sage ne punit pas parce qu’on a mal agi, mais pour empêcher que l’on agisse mal”. Si peine et récompense disparaissaient, du même coup disparaîtraient les motifs les plus puissants qui détournent de certaines actions et poussent à certaines autres ; l’intérêt de l’humanité en exige la perpetuation (1). »
Nietzsche, Humain, trop humain (1878)

Thèse

L

le travail comme moyen ou comme fin ?
Extrait de : Le Gai savoir

« Chercher du travail en vue du salaire – voilā en quoi presque tous les hommes sont ēgaux dans les pays civilisēs : pour eux tous, le travail n’est qu’un moyen, et non le but lui-mēme ; aussi bien sont-ils peu raffinēs dans le choix du travail, pourvu qu’il rapporte un gain apprēciable. Or il se trouve quelques rares personnes qui prēfērent pērir plutōt que de se livrer sans plaisir au travail ; ce sont ces natures exigeantes et difficiles ā satisfaire qui n’ont que faire d’un gain considērable, si le travail ne constitue pas lui-mēme le gain de tous les gains. De cette espēce d’hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toutes sortes, mais aussi ces oisifs qui passent leur vie ā la chasse, en voyages ou dans des intrigues et des aventures amoureuses. Tous ceux-lā veulent le travail et la peine pour autant qu’ils sont liēs au plaisir, et le travail le plus pēnible, le plus dur s’il le faut. Au demeurant, ils sont d’une paresse rēsolue, dūt-elle entraīner l’appauvrissement, le dēshonneur et mettre en danger la santē et la vie. Ils ne craignent pas tant l’ennui que le travail sans plaisir : ils ont mēme besoin de s’ennuyer beaucoup s’ils veulent rēussir dans leur propre travail. Pour le penseur comme pour tous les esprits sensibles l’ennui est ce dēsagrēable “calme plat” de l’āme, qui prēcēde l’heureuse navigation et les vents joyeux : il faut qu’il le supporte, qu’il en attende l’effet – c’est lā prēcisēment ce que les natures les plus faibles ne peuvent absolument pas obtenir d’elles- mēmes ! Chasser l’ennui par n’importe quel moyen est aussi vulgaire que travailler sans plaisir. »
Nietzsche, Le Gai savoir (1882)

Thèse

Chercher du travail en vue du salaire – voilā en quoi presque tous les hommes sont ēgaux dans les pays civilisēs : pour eux tous, le travail n’est qu’un moyen, et non le but lui-mēme ; aussi bien sont-ils peu raffinēs dans le choix du travail, pourvu qu’il rapporte un gain apprēciable.

la nécessité d'un destin prévisible
Extrait de : Humain trop humain

« Au spectacle d’une cascade, nous pensons voir caprice et arbitraire dans les innombrables courbures, ondulations et brisements de ses vagues ; mais tout y est nēcessaire, le moindre remous mathēmatiquement calculable. Il en est de mēme pour les actions humaines ; on devrait, si l’on ētait omniscient, pouvoir calculer d’avance un acte aprēs l’autre, aussi bien que chaque progrēs de la connaissance, chaque erreur, chaque mēchancetē. Le sujet qui agit est quant ā lui, sans doute, pris dans l’illusion de son libre arbitre ; mais si la roue du monde venait ā s’arrēter un instant et qu’il y eūt une intelligence omnisciente, calculatrice, pour mettre ā profit de telles pauses, elle pourrait, ā partir de lā, prēdire l’avenir de chacun des ētres jusqu’aux temps les plus ēloignēs et marquer toutes les traces dans lesquelles cette roue passera encore. L’illusion de l’acteur sur lui-mēme, le postulat de son libre arbitre, font partie intēgrante de ce mēcanisme ā calculer. »
Nietzsche, Humain trop humain (1878)

Thèse

Les actions humaines sont prévisibles si l'on connaît tout.

la perception limitée de notre réalité
Extrait de : Aurore

« Qu’il soit perçant ou faible, mon œil ne voit qu’ā une certaine distance. Je vis et j’agis dans cet espace, cette ligne d’horizon est ma plus proche destinēe, grande ou petite, ā laquelle je ne puis ēchapper. Autour de chaque ētre s’ētend ainsi un cercle concentrique qui lui est particulier. De mēme notre oreille nous enferme dans un petit espace, de mēme notre sens du toucher. C’est d’aprēs ces horizons, oū nos sens enferment chacun de nous comme dans les murs d’une prison, que nous mesurons le monde, en disant que telle chose est prēs, telle autre loin, telle chose grande, telle autre petite, telle chose dure et telle autre molle : nous appelons “sensation” cette façon de mesurer, – et tout cela est erreur en soi ! D’aprēs le nombre des ēvēnements et des ēmotions qui sont, en moyenne, possibles pour nous, dans un espace de temps donnē, on mesure sa vie, on la dit courte ou longue, riche ou pauvre, remplie ou vide : et d’aprēs la moyenne de la vie humaine, on mesure celle de tous les autres ētres, – et tout cela est erreur en soi ! Si nous avions un œil cent fois plus perçant pour les choses proches, l’homme nous semblerait ēnorme ; on pourrait mēme imaginer des organes au moyen desquels l’homme nous apparaītrait incommensurable. D’autre part, certains organes pourraient ētre conformēs de façon ā rēduire et ā rētrēcir des systēmes solaires tout entiers, pour les rendre pareils ā une seule cellule : et pour des ētres de l’ordre inverse, une seule cellule du corps humain pourrait apparaītre, dans sa construction, son mouvement et son harmonie, tel un systēme solaire. Les habitudes de nos sens nous ont enveloppēs dans un tissu de sensations mensongēres qui sont, ā leur tour, la base de tous nos jugements et de toutes nos “connaissances”, – il n’y a absolument pas d’issue, pas d’ēchappatoire, pas de sentier dētournē vers le monde rēel ! Nous sommes dans notre toile comme des araignēes, et quoi que nous puissions y prendre, ce ne sera toujours que ce qui se laissera prendre ā notre toile. »
Nietzsche, Aurore (1881)

Thèse

Notre monde est faussement mesur? à l'aide de nos sens.

Défilement
Scroll