L'analyse du sujet
La première étape, absolument fondamentale avant même de penser à un plan ou à une problématique, est l'analyse précise et approfondie du sujet. Une mauvaise compréhension du sujet conduit immanquablement au hors-sujet ou à une réponse superficielle. Consacrez au moins 15 à 30 minutes à cette phase cruciale au brouillon.
1. Lire et Relire Attentivement le Sujet
Lisez le sujet plusieurs fois, lentement. Chaque mot compte ! Ne vous précipitez pas sur le premier sens qui vous vient à l'esprit.
- Identifiez la forme exacte de la question (interrogation totale, partielle, injonction...).
- Soyez attentif à la ponctuation (point d'interrogation, guillemets...).
- Ne négligez aucun terme, même les plus petits mots (articles, adverbes comme "seulement", "toujours", "nécessairement"...).
2. Identifier et Définir les Mots-Clés (Concepts)
Repérez les termes centraux du sujet, les concepts philosophiques ou les notions importantes.
- Listez les mots importants au brouillon.
- Définissez chaque terme précisément. Ne vous contentez pas du sens courant. Explorez les différents sens possibles (sens étymologique, sens commun, sens philosophique spécifique).
- Exemple : Pour le sujet
Le bonheur est-il une affaire privée ?
, il faut définir "bonheur" (état de satisfaction durable ? plaisir ? but de la vie ?) et "affaire privée" (qui ne concerne que l'individu ? indépendant de la société ? secret ?).
- Exemple : Pour le sujet
- Contextualisez les définitions : Choisissez le sens le plus pertinent par rapport à la question posée et aux autres termes du sujet.
- Analysez les liens entre les termes : Comment s'articulent-ils ? Sont-ils en opposition, en complémentarité, en relation de cause à effet ?
3. Analyser la Formulation de la Question
La manière dont la question est posée oriente toute la réflexion.
- Type de question :
- Question fermée (Oui/Non) :
Peut-on désirer sans souffrir ?
Invite à examiner les arguments pour le oui et pour le non, puis à nuancer ou dépasser l'alternative. - Question ouverte (Pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce que...?) :
Pourquoi respecter autrui?
Demande d'explorer les raisons, les fondements, les modalités. - Formulations spécifiques :
- "Suffit-il de… ?" : Interroge sur la suffisance d'une condition.
- "Faut-il... / Doit-on... ?" : Porte sur le devoir, l'obligation morale ou la nécessité logique/pratique.
- "... n'est-il que… ?" : Invite à examiner si une définition est réductrice.
Le langage n'est-il qu'un outil ?
- "Dans quelle mesure… ?" : Demande une réponse nuancée, évaluant le degré de validité d'une affirmation.
- Question fermée (Oui/Non) :
- Analyser les verbes : Le verbe principal est crucial (pouvoir, devoir, falloir, être, avoir...).
- Analyser les adverbes et adjectifs : Ils précisent la portée de la question ("toujours", "nécessairement", "seulement", "possible"...).
4. Identifier les Présupposés du Sujet
Un présupposé est une idée admise implicitement par la question, qui n'est pas elle-même interrogée, mais tenue pour acquise.
- Demandez-vous : "Qu'est-ce que la question suppose comme étant vrai ou allant de soi pour pouvoir être posée ?"
- Exemple 1 :
Pourquoi obéir aux lois ?
présuppose qu'il faut (ou qu'au moins, on peut) obéir aux lois. - Exemple 2 :
La technique nous libère-t-elle ?
présuppose que la technique a un impact sur notre liberté (positif ou négatif). - Identifier les présupposés peut ouvrir des pistes de réflexion critiques ou permettre de mieux cerner le cadre du problème.
5. Reformuler le Sujet
Essayez de reformuler la question avec vos propres mots, de différentes manières. C'est un bon moyen de vérifier que vous avez bien compris le sens et les enjeux.
- Si vous parvenez à poser la question autrement tout en gardant le même sens profond, c'est que votre analyse est sur la bonne voie.
- Cette reformulation peut aussi vous aider à faire émerger la problématique
La problématisation
Après avoir soigneusement analysé les termes et la formulation du sujet (Partie 1), l'étape suivante consiste à le problématiser. C'est le moment clé où vous transformez la question posée en un véritable problème philosophique. Une bonne problématisation montre que vous avez saisi la difficulté, la tension ou le paradoxe au cœur du sujet et que vous ne vous contenterez pas d'une réponse simple ou immédiate.
1. Qu'est-ce que Problématiser ?
Problématiser, ce n'est pas simplement répéter la question du sujet ou la reformuler. C'est montrer pourquoi cette question se pose, pourquoi elle est intéressante et difficile, pourquoi la réponse ne va pas de soi.
- Cela implique de mettre en évidence une tension, une contradiction, un paradoxe ou une alternative difficile à trancher.
- Il s'agit de montrer que le sujet contient un nœud qu'il va falloir dénouer par la réflexion.
- La problématisation donne sa direction et son intérêt à votre dissertation : elle justifie la nécessité d'une argumentation structurée pour tenter de résoudre le problème posé.
2. Comment Passer de l'Analyse au Problème ?
C'est le travail d'analyse du sujet qui permet de faire émerger le problème :
- Les définitions des termes : Les différents sens d'un mot clé peuvent révéler une ambiguïté ou une tension. (Ex : Le "bonheur" comme plaisir immédiat vs comme état durable).
- Les liens entre les termes : L'articulation entre les concepts du sujet peut être conflictuelle. (Ex : Le sujet
La liberté consiste-t-elle à faire ce que l'on veut ?
met en tension "liberté" et "faire ce que l'on veut"). - La formulation de la question : Elle pointe souvent vers une alternative (oui/non) ou une difficulté spécifique ("Suffit-il de…", "N'est-il que…").
- Les présupposés : Interroger les présupposés du sujet peut faire apparaître un problème. (Ex : Si l'on présuppose qu'il faut obéir aux lois, on peut se demander si cette obéissance est toujours légitime).
- Confronter à l'opinion commune ou à d'autres idées : Mettre en regard la question avec le sens commun, ou avec des réponses philosophiques connues, peut révéler une difficulté. (Ex : L'opinion commune dit que la liberté, c'est faire ce qu'on veut, MAIS la réflexion montre les limites de cette idée).
3. Identifier la Tension ou le Paradoxe Central
Le cœur de la problématisation est de formuler clairement la difficulté principale.
- Cherchez l'opposition fondamentale : Qu'est-ce qui s'affronte dans ce sujet ? (Ex : liberté vs contrainte, individu vs société, raison vs passion, savoir vs croire…).
- Mettez en évidence le paradoxe : Montrez en quoi une réponse simple (oui ou non) est insatisfaisante ou conduit à une contradiction.
- Exemple pour
La liberté consiste-t-elle à faire ce que l'on veut ?
: La tension est donc entre l'aspiration à l'indépendance totale et la nécessité de limites pour une liberté réelle et partagée.- Si OUI : Cela semble évident (liberté = absence de contrainte), MAIS cela mène au conflit et à l'impossibilité de vivre ensemble, voire à la tyrannie des désirs.
- Si NON : Il faut des règles, MAIS ces règles ne sont-elles pas justement une négation de la liberté comprise comme absence de contrainte ?
- Exemple pour
4. Formuler la Problématique
La problématique est la formulation écrite du problème que vous avez identifié. Elle se trouve généralement à la fin de l'introduction.
- Forme : Elle prend souvent la forme d'une ou plusieurs questions liées, qui découlent logiquement de l'analyse du sujet et de la mise en évidence de la tension.
- Contenu : Elle doit exprimer clairement le problème central, l'alternative ou le paradoxe. Elle ne doit pas être une simple reformulation du sujet, mais montrer l'enjeu de la réflexion.
- Fonction : Elle doit annoncer implicitement les grandes lignes du plan qui suivra. Elle pose les questions auxquelles la dissertation va tenter de répondre.
- Exemple pour
La liberté consiste-t-elle à faire ce que l'on veut ?
:
La construction du plan
Une fois le sujet analysé et la problématique clairement formulée, il faut organiser votre réflexion en un plan structuré. Le plan est la réponse organisée que vous allez apporter au problème soulevé. Il doit être logique, progressif et équilibré. C'est la colonne vertébrale de votre devoir.
1. Rôle et Qualités d'un Bon Plan
- Répondre à la problématique : Chaque partie du plan doit contribuer à répondre aux questions posées dans votre problématique.
- Être progressif : Le plan doit montrer une avancée dans la réflexion. On ne juxtapose pas des idées sans lien ; on chemine d'une idée à une autre, en approfondissant l'analyse ou en dépassant des contradictions.
- Être équilibré : Les grandes parties (généralement 2 ou 3) doivent avoir une importance et une longueur à peu près équivalentes.
- Être cohérent : Les arguments à l'intérieur de chaque partie doivent être logiquement liés à l'idée directrice de la partie. Les différentes parties doivent s'articuler logiquement entre elles (grâce aux transitions).
- Couvrir le sujet : Le plan doit permettre d'explorer les différents aspects importants du sujet, sans en négliger.
2. Les Types de Plans Courants
Il n'y a pas de plan unique ou parfait, mais certains types de plans sont fréquemment utilisés en philosophie, en fonction de la nature du sujet et de la problématique :
- Le Plan Dialectique (Thèse - Antithèse - Synthèse) :
- Quand l'utiliser ? Idéal pour les sujets invitant à une réponse nuancée (oui/non, peut-on..., faut-il...), qui révèlent une opposition forte ou un paradoxe.
- Structure :
- I. Thèse : On explore et argumente une première réponse possible à la question (le "oui" ou le "non" apparent, l'opinion commune...).
- II. Antithèse : On montre les limites, les insuffisances ou les contradictions de la première partie, et on développe la position opposée ou un autre aspect du problème. Ce n'est pas une simple négation, mais une critique argumentée.
- III. Synthèse (ou Dépassement) : On cherche à dépasser l'opposition entre la thèse et l'antithèse. Il ne s'agit pas d'un compromis mou, mais de formuler une position plus complexe et nuancée qui intègre les éléments valides des deux premières parties, souvent en redéfinissant un terme clé ou en déplaçant le problème.
- Exemple (Sujet :
Peut-on se mentir à soi-même ?
) : I. Oui, l'idée de mensonge à soi-même semble décrire des expériences courantes (se voiler la face...). II. Mais, logiquement, comment être à la fois trompeur et trompé (objection de la conscience transparente) ? III. Dépassement : La notion de "mauvaise foi" (Sartre) ou d'inconscient permet de penser cette possibilité complexe sans contradiction logique stricte.
- Le Plan Thématique (ou Analytique / Progressif) :
- Quand l'utiliser ? Pertinent pour les sujets demandant une définition ("Qu'est-ce que...?"), une exploration des causes ("Pourquoi...?"), des modalités ("Comment...?"), ou l'analyse d'une notion complexe.
- Structure : Le plan progresse en examinant différents aspects, dimensions ou étapes de la compréhension du problème. Chaque partie explore un "thème" lié au sujet.
- Progression : L'ordre des parties doit être logique : on peut aller du plus évident au plus complexe, du particulier au général, d'une définition à ses implications, etc.
- Exemple (Sujet :
Qu'est-ce que prouver ?
) : I. Prouver dans les sciences formelles (maths, logique) : la démonstration déductive. II. Prouver dans les sciences expérimentales : le rôle de l'observation, de l'expérimentation, de l'induction. III. Les limites de la preuve : Peut-on tout prouver ? Le domaine de la croyance, de l'intime conviction, de la persuasion.
Note : Parfois, un plan peut combiner des éléments des deux types.
3. Comment Construire Concrètement Son Plan ?
- Partir de la problématique : Le plan doit découler directement des questions posées dans la problématique. Chaque grande partie doit correspondre à une étape de la réponse au problème.
- Brainstorming et Organisation : Rassemblez au brouillon toutes les idées, arguments, exemples, références qui vous viennent à l'esprit suite à l'analyse et à la problématisation.
- Regrouper les idées : Organisez ces éléments en 2 ou 3 grands axes cohérents qui constitueront vos parties principales. Donnez un titre (même provisoire) à chaque partie pour clarifier son idée directrice.
- Détailler chaque partie : Pour chaque grande partie, prévoyez 2 ou 3 sous-parties correspondant aux arguments principaux que vous allez développer. Pour chaque argument, pensez à un exemple ou une référence pour l'appuyer.
- Vérifier la progression : Assurez-vous que l'enchaînement des parties et des arguments est logique et qu'il y a une progression dans la réflexion. La troisième partie (si elle existe) doit apporter un éclairage décisif ou une solution nuancée au problème.
- Prévoir les transitions : Pensez brièvement à la manière dont vous allez passer d'une partie à l'autre
4. L'Importance du Plan Détaillé au Brouillon
Avant de commencer à rédiger, il est indispensable d'avoir au brouillon un plan très détaillé :
- Titres clairs pour chaque grande partie (I, II, III) et sous-partie (A, B, C).
- L'idée précise de chaque argument.
- Les exemples et/ou références philosophiques que vous utiliserez pour chaque argument.
- Éventuellement, quelques mots sur les transitions.
Ce plan détaillé est votre guide pour la rédaction. Il vous évite de vous perdre, assure la cohérence de votre propos et vous permet de gérer votre temps plus efficacement.
L'usage des références
Une dissertation philosophique ne se nourrit pas seulement de votre propre réflexion, mais aussi du dialogue que vous entretenez avec la tradition philosophique et la culture en général. Savoir utiliser des références (auteurs, concepts, exemples) à bon escient est une compétence essentielle pour donner de la profondeur, de la précision et de la crédibilité à votre argumentation.
1. Pourquoi Utiliser des Références ?
Les références ne sont pas là pour "faire bien" ou pour montrer que vous avez appris des noms par cœur. Elles ont plusieurs fonctions :
- Appuyer un argument : L'idée d'un philosophe reconnu peut venir renforcer la validité de votre propre argument.
- Illustrer une idée : Un exemple précis (historique, littéraire, scientifique, artistique…) ou la position d'un auteur peut éclairer concrètement une idée abstraite.
- Nuancer ou critiquer : Vous pouvez utiliser une référence pour introduire une objection, montrer les limites d'une position ou présenter une alternative.
- Montrer votre culture philosophique : Utiliser des références pertinentes montre que votre réflexion s'inscrit dans un dialogue avec d'autres penseurs.
- Préciser votre pensée : Se référer à un concept philosophique précis (ex : l'impératif catégorique chez Kant, la mauvaise foi chez Sartre) permet d'exprimer une idée de manière rigoureuse.
2. Qu'est-ce qu'une Référence Pertinente ?
Plusieurs types de références peuvent être mobilisés :
- Les auteurs et leurs idées : Citer un philosophe (Platon, Descartes, Kant, Nietzsche, Arendt…) en expliquant sa thèse ou son argument sur un point précis lié à votre sujet.
- Les concepts philosophiques : Utiliser de manière juste et éclairante des concepts techniques (le doute méthodique, l'inconscient, le contrat social, l'allégorie de la caverne…).
- Les exemples significatifs :
- Historiques : Un événement, une période, une figure historique (ex : la Révolution française pour penser la liberté politique).
- Littéraires / Artistiques : Une œuvre, un personnage, un courant artistique (ex : Antigone pour le conflit loi/morale, une œuvre d'art abstraite pour questionner la représentation).
- Scientifiques : Une découverte, une théorie, une expérience (ex : l'expérience de Milgram pour réfléchir à l'obéissance).
- Mythologiques / Religieux : Un mythe, une figure, un texte sacré (utilisés pour leur portée symbolique).
- Issus de l'observation contemporaine : Un fait de société, une actualité (à analyser avec prudence et recul philosophique).
3. Comment Bien Intégrer les Références ? (Les "Do" et "Don't")
- DO : Expliquer la référence. Ne vous contentez pas de citer un nom ou un titre. Expliquez l'idée de l'auteur ou la signification de l'exemple.
"Comme l'explique Rousseau dans le Contrat Social, la volonté générale n'est pas la somme des volontés particulières, mais vise l'intérêt commun…"
- DON'T : Faire du "name-dropping". Évitez les listes de noms sans explication. "Platon, Aristote, Kant et Hegel ont parlé de ce sujet." (Et alors ?)
- DO : Montrer la pertinence. Explicitez clairement le lien entre la référence et votre propre argument. Pourquoi citez-vous cet auteur ou cet exemple à ce moment précis de votre raisonnement ?
"Cette idée que la perception est une interprétation trouve un appui chez Merleau-Ponty lorsqu'il analyse…"
- DON'T : Plaquer des connaissances. N'insérez pas une référence qui n'a qu'un rapport lointain avec votre propos, juste pour montrer que vous la connaissez.
- DO : Être précis et fidèle. Respectez la pensée de l'auteur cité. Ne lui faites pas dire ce qu'il n'a pas dit. Si vous citez, citez exactement (avec des guillemets).
- DON'T : Simplifier à l'extrême ou caricaturer. La pensée des philosophes est souvent complexe.
- DO : Intégrer la référence à votre propre argumentation. La référence doit servir votre propos, l'éclairer, le renforcer. C'est un outil au service de votre réflexion.
- DON'T : Laisser la référence remplacer votre argumentation. Ne vous cachez pas derrière les auteurs. Votre devoir doit être une réflexion personnelle et argumentée.
- DO : Utiliser les citations avec parcimonie. Préférez les citations courtes et bien intégrées à votre phrase. Une longue citation doit être exceptionnelle et toujours suivie d'une explication détaillée.
4. L'Usage Spécifique des Exemples
Les exemples (non philosophiques) sont utiles, mais doivent être maniés avec soin :
- Un exemple n'est pas une preuve universelle : Il sert à illustrer, à rendre concret, parfois à tester une idée, mais un cas particulier ne suffit pas à établir une loi générale en philosophie.
- Analysez l'exemple : Ne vous contentez pas de le mentionner. Expliquez en quoi il est pertinent, ce qu'il montre par rapport à votre argument.
- Variez les types d'exemples : Puisez dans différents domaines (histoire, littérature, art, science, actualité...) pour montrer l'étendue de votre culture et la portée de votre réflexion.
- Évitez les exemples trop personnels ou anecdotiques s'ils ne sont pas analysés de manière à leur donner une portée plus générale.